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Bouvard & Pécuchet – Gustave Flaubert

    Il est bon parfois de sortir des «classiques», car les œuvres les plus connues ne signent pas toujours leurs auteurs. Ainsi, on pensera aux Fragments de Nietzsche, aux Naufragés du Jonathan de Jules Verne. Il est relativement peu connu que Gustave Flaubert nous légua Bouvard et Pécuchet ; or ce texte nous le dévoile sous un jour neuf : acide, fort libéral.

    Gustave Flaubert rime avec auteur d’exception. Autant contesté, pour des œuvres comme Madame Bovary, qu’admiré à son époque pour la puissance de son style, il reste l’un des plus grands romanciers du XIXe siècle. Son nom demeure de ceux dont tout élève étudie les œuvres principales.

    Gustave Flaubert rime avec auteur d’exception. Autant contesté, pour des œuvres comme Madame Bovary, qu’admiré à son époque pour la puissance de son style, il reste l’un des plus grands romanciers du XIXe siècle. Son nom demeure de ceux dont tout élève étudie les œuvres principales.

    Bouvard et Pécuchet sont deux hommes simples et bien comme il faut, qui se lancent dans une aventure de (faux) entrepreneurs et de proche en proche, passant d’un sujet à l’autre, ils donnent à l’auteur l’occasion de ridiculiser son temps et ses contemporains. Dans sa correspondance, il a expliqué sa motivation à compléter son œuvre d’une caricature ironique.

    « Ce serait la glorification historique de tout ce qu’on approuve : j’y démontrerais que les majorités ont toujours eu raison, les minorités toujours tort … Je rentrerais, par là, dans l’idée démocratique moderne d’égalité ; que les grands hommes deviendront inutiles. »  – G. Flaubert – Correspondance.

            

    Il convient de se souvenir que Gustave Flaubert était à la fois opposé au régime du Second Empire et à celui de la démocratie, laquelle aura mis près d’un siècle à se faire durablement une place en France, jusqu’à 1870. 

    Il entreprend ainsi, en fin de carrière, une œuvre qui accompagnera son Dictionnaire des idées reçues, qui sera un passage en revue de la grande famille des croyances absurdes chez l’homme «moyen», lesquelles sont autant de motifs à dénoncer le pouvoir démocratique par trop populaire.

    Suite à une fortune soudaine, nos deux personnages se lancent dans une aventure où leur curiosité naïve les fera investir dans tous les domaines l’un après l’autre, toujours à perte, illustrant au passage ces idées reçues que l’auteur prend pour trame. Les échecs s’enchaînent, au fil des pages.

    Les quatre premiers chapitres peuvent laisser le lecteur un peu perplexe, mais le suivant, à mon sens le cœur du livre, propose un tournant décisif en plaçant les deux hommes au sein des événements de 1851, qui verront la prise de pouvoir de Napoléon III. Les voilà alors acteurs de débats vifs qui dépoussièrent tant les valeurs démocratiques que celles d’un empire.

    Débats où l’on découvre quelques véritables pépites parmi les répliques, comme celle-ci, où Gustave Flaubert joue au H-H. Hoppe avant l’heure – noter l’emploi du terme «axiome», très avancé pour la pensée politique :

    « — Pardon, dit Pécuchet, le droit d’un seul est aussi respectable que celui de tous et vous n’avez rien à lui objecter que la force, s’il retourne contre vous l’axiome. »

    Ainsi, ce chapitre fait jouer un rôle nouveau à nos deux compères, où le premier est plutôt dans l’habit du Français moyen, alors que le second fait preuve d’une belle clairvoyance. Pour preuve cet aphorisme qui ne ferait pas rougir les humoristes modernes pour l’actualité de ses propos :

    « — On intervient pour remettre un prince sur le trône, pour affranchir un peuple, ou, par précaution, en vue d’un danger. Dans les deux cas, c’est un attentat au droit d’autrui, un abus de la force, une violence hypocrite ! »

    Mais ce livre ne se résume pas à ce chapitre plus politique, il est digne de la lignée d’un Étienne de la Boétie quant au rapport entre la pensée du « peuple », des gens, et sa concrétisation sous la forme du régime qui les régit à un instant. Tout le livre, critique de l’aptitude à vivre comme “on” le croit, converge vers la thèse que ce paragraphe résume parfaitement :

    « Puisque le Peuple enfin accepte tous les tyrans, pourvu qu’on lui laisse le museau dans sa gamelle, Napoléon a bien fait ! qu’il le bâillonne, le foule et l’extermine ! ce ne sera jamais trop pour sa haine du droit, sa lâcheté, son ineptie, son aveuglement ! »

    Pour finir, je me dois de souligner que ce livre resta inachevé, les dernières pages ne sont que l’ébauche de son plan. C’est pourtant, je crois, l’autre pilier de cette œuvre telle qu’elle nous est parvenue. Elle fourmille en effet d’indices de la vision politique que Flaubert entrevoyait pour notre monde. Je vous laisse tout le plaisir de les découvrir, un à un.

    Stéphane Geyres
    Directeur de Collection