Democracy est, selon l’auteur lui-même, son livre à la fois le plus connu et qui aura fait le plus polémique, chez les libéraux comme chez les libertariens. C’est probablement celui aussi qui aura établi Hans-Hermann Hoppe, dit « HHH » tant ses initiales suffisent à porter sa vision, comme le leader contemporain de la pensée libérale radicale, et comme un des grands penseurs actuels.
Democracy fait polémique pour de nombreuses raisons, et comme bien des textes polémiques, il laisse peu de ses lecteurs indifférents, bien que les réactions les plus vives se rencontrent souvent chez des personnes n’ayant jamais approfondi, voire ouvert, un ouvrage de l’auteur.
Les motivations de polémique sont nombreuses, variant au gré des nombreux sujets abordés et autant de fois chamboulés par Hoppe, ainsi que selon la foule des populations plus ou moins séduites par l’État, dont il éclabousse ainsi les certitudes plus ou moins politiquement correctes. En premier vient évidemment la remise en question de la démocratie, comme nirvana libéral, comme « fin de l’histoire » du libéralisme de façade de la social-démocratie mondiale, ainsi remise à sa place de « variante molle du communisme » nous conduisant lentement à la tyrannie globale. Mais Hoppe passe aussi au vitriol l’immigration, vingt-cinq ans avant les enjeux actuels, et les liens entre liberté, démocratie et avancée de la civilisation occidentale. Il souligne par ailleurs que la discrimination est une dimension essentielle de la liberté, un acte de choix inhérent à l’homme, source de prospérité, qu’il convient donc de remettre de manière positive au centre des débats.
Ces polémiques, et l’image de radical aux positions souvent ambiguës qui colle à la peau de Hoppe, expliquent probablement en partie pourquoi ce livre ne fut pas traduit en France et pour les francophones à ce jour. Il est peu contestable que ce texte dérange beaucoup et beaucoup de gens, tels des libéraux démocrates, voire bien des libertariens, et que la radicalité de Hoppe fait grincer des dents.
Hoppe commença sa carrière académique plongé dans un bain de marxisme, où son esprit toujours très rigoureux cherchait déjà à comprendre histoire, société, droit, économie. C’est cette rigueur qui l’éloigna de ses premiers mentors et le conduisit à chercher des réponses plus satisfaisantes, notamment sous l’angle économique. Il fit ainsi la découverte de Ludwig von Mises, puis de Murray Rothbard, qui avait repris la suite du maître autrichien. Hoppe connaît donc bien la logique socialo-communiste, il sut s’en dégager par rigueur et intégrité intellectuelle, qualités qui marquent son œuvre et sa démarche encore à ce jour.
Ayant rejoint Rothbard, Hoppe fut aux premières loges alors que celui-ci lançait le mouvement libertarien et la philosophie politique de même nom — on reviendra sur ce point de vocabulaire. Il est donc parfaitement placé pour parler des libertariens, de leur ambition, de leur philosophie, de leurs liens avec le libéralisme et les divers mouvements libéraux.
Sous l’angle théorique et académique, Hoppe a réussi à faire avancer la théorie fondée par Murray Rothbard, en apportant des fondations originales très solides au droit naturel et à la théorie de la propriété, clarifiant son rôle intemporel à la fois social et économique. Dans le premier chapitre du présent ouvrage, il prend l’habit d’économiste autrichien pour théoriser le lien qu’il y a entre le comportement économique individuel, les conditions sociales de ce comportement, et les principes de la civilisation, ainsi, à l’inverse, que les freins à son avancée.
Aussi, depuis une bonne quinzaine d’années, Hans-Hermann Hoppe a choisi de dépasser, dans ses travaux et ses interventions, la théorie pure, pour s’intéresser de plus en plus à l’histoire, à l’évolution du droit, de la liberté et de la civilisation (occidentale), cela afin de disposer des outils lui permettant d’aller toujours plus loin dans la réflexion stratégique vers une pleine liberté. Cet objectif de disposer de bases théoriques irréprochables pour ensuite en tirer une vision de la société libre idéale, ainsi que des trajectoires militantes les mieux à même de nous y conduire, ou les prochaines générations, motive désormais bien de ses textes et son action.
Humblement inscrits dans cette dynamique, il nous a semblé urgent de faire mieux connaître Hoppe et sa vision de la Liberté, contribuant ainsi à ouvrir des yeux plus nombreux sur la démocratie et à éveiller au potentiel de la sécession comme futur réaliste de la Liberté de ce monde chaotique.
Concernant le vocabulaire, revenons sur le terme de libertarien, parsemé un peu partout dans ce livre supposé parler d’abord de démocratie. Voilà encore un vocable sujet de bien des controverses, de plus en plus de gens se disant libertariens, ou « libertarians » en pays anglophone et surtout aux États-Unis, mais tous n’étant pas toujours en accord avec Hoppe. L’auteur consacrant une part non négligeable sur cette question d’alignement des termes et des idées, il s’agit plutôt ici d’apporter un éclairage plus spécifiquement francophone.
Le terme « libertarien » fut introduit dans les années 80 par Henri Lepage, venant alors témoigner des idées du mouvement “libertarian” lancé par Rothbard. Si outre-Atlantique “libertarian” est désormais plutôt proche de notre « libéral », digne d’un Bastiat, Rothbard avait choisi son terme pour insister sur la nature en réalité radicale du libéralisme classique. C’est cette nuance de radicalité que Henri Lepage reprit avec son « libertarien », lequel transmet donc chez nous un sens de « libéralisme extrême », totalement en ligne avec la vision qu’en décrit Hoppe dans ces pages. Néanmoins, tout comme en Amérique, « libertarien » est victime de son succès puisque beaucoup se déclarent libertariens, avec plus ou moins de bonne foi, amoindrissant de ce fait la radicalité initialement véhiculée.
Tout ceci posé, il convient de revenir rapidement sur le message de l’ouvrage lui-même. Sans chercher à résumer un tel ouvrage en trop peu de mots (voir plus bas le résumé de chaque chapitre), on peut avancer que le travail de Hoppe vise à nous faire toucher du doigt combien la démocratie est en réalité l’antithèse de sa réputation comme summum de la liberté. Et que comme masque de vertu de l’État, qui n’en finit pas de se répandre sous son voile, elle ne peut en aucune manière servir de vecteur à une voie nouvelle vers une liberté libertarienne, puisqu’en aucune manière une série d’élections ne pourrait aboutir à démanteler ses institutions.
Dès lors, toutes les stratégies libérales ou prétendument libertariennes, y compris inspirées de Hayek, se lançant dans de longues campagnes de reconquête de l’opinion, à contre-courant démocratique, et de cures d’amaigrissement étatique face à la masse des subventionnés, sont vouées à butter sur un effet horizon intrinsèque. Au mieux peuvent-elle espérer, dans combien de générations nul ne le sait, aboutir à un État minimal demeuré démocratique. Pas à une société libre faite d’individus libres, organisés entre eux par contrats, grâce aux entreprises du marché.
Alors, quelle option reste-t-il ? Hoppe dans ce livre comme dans bien d’autres textes, développe l’idée de la sécession comme seule perspective réelle pour qui a de l’ambition pour la liberté. L’histoire de la fin de XXe siècle, URSS et Balkans en tête, lui apporte de la matière. Et tout récemment, l’adoption du Brexit, enfin, met à son tour l’Union Européenne sur la pente glissante d’un démantèlement désormais fort probable, et dont on osera de plus en plus parler en public.
De plus, pour Hoppe la cible est assez concrète. Elle n’est pas une totale utopie, puisque le discret Liechtenstein est, dans sa conception, sa liberté et dans sa prospérité, extrêmement proche de l’idéal libertarien, lui qui reconnaît officiellement le droit de sécession à sa population. L’auteur en a fait un credo, la cible est claire, il s’agit pour nous libertariens d’aller vers un monde aux 1000 Liechtenstein, voire plus encore. Il s’agit de pousser à plus de sécessions, car la concurrence accrue entre pays et la reprise de contrôle des populations feront le chemin.
Ce que cela veut dire pour les libéraux et libertariens en France devrait aller de soi, la voie est indiquée. Espérons que la mise à disposition en français de ce texte permettra une large diffusion de ces analyses.
Pour terminer, et avant de laisser le lecteur découvrir les différents chapitres résumés ci-après, je tiens à remercier chaleureusement le Professeur Pascal Salin pour son accord immédiat à en écrire la préface, fort positive, de ce livre, lui apportant ainsi tout son crédit.
Stéphane Geyres
Directeur de Collection