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Esquisse de la Société Future – Gustave de Molinari

    Etat de guerre contre état de paix, voilà les deux concepts majeurs faisant l’épine dorsale de ce livre publié en 1899, où Gustave de Molinari se propose de brosser la civilisation alors en devenir par l’étude systématique de la tension entre concurrence et monopole.

    Gustave de Molinari, belge de naissance, est bien connu chez les libéraux pour avoir repris le flambeau de Frédéric Bastiat comme économiste du laissez-faire. Mais l’élève dépassa le maître, puisqu’il est considéré comme le fondateur de l’anarcho-capitalisme, la doctrine chère aux libertariens.

    Il a déjà 80 ans quand il écrit cette Esquisse de la Société Future, réalisation qui en soi mérite d’être saluée, tant le texte est construit avec clarté et brio. Au virage du siècle, à quinze ans de la Grande Guerre, les états font la course aux armements, comme en attestent les budgets donnés en annexe. L’auteur mobilise donc ses talents pour proposer une alternative : la paix.

    Toujours très structuré, il déroule sa logique dont il établit en introduction les fondements : la société des hommes connaît des « lois naturelles » qui bougent inexorablement les plaques tectoniques sociales. La concurrence est sans doute sa force préférée, mais il prend aussi des accents annonçant l’économiste autrichien Ludwig von Mises via son « mobile de l’activité ».

    C’est sous l’impulsion de ce mobile et de ces lois que l’homme a réalisé les progrès qui l’ont fait sortir de l’animalité et élevé à la civilisation, en passant par l’état de guerre pour aboutir à l’état de paix.

    Voilà sa thèse annoncée. Le livre démarre sur l’état de guerre, ce concept clé où c’était par la guerre que les oligarques au pouvoir apportaient le service régalien aux peuples soumis. La guerre comme forme du régalien, l’auteur en fait l’histoire pour en tirer l’enjeu même de son ouvrage : l’Europe dite civilisée ne le sera vraiment qu’une fois que les oligarchies auront tout à fait accepté que leur prospérité viendra de celle des hommes.

    Le progrès le plus urgent à réaliser, dans la situation présente des sociétés civilisées, consiste donc à mettre fin à l’état de guerre.

                   

    Gustave de Molinari en vient alors au cœur de son ouvrage : le concept d’état de paix, ses différences avec le modèle en place et pourquoi cet état des choses nouveau est selon lui atteignable en cette fin de XIXe siècle. À chaque cran de son développement, la concurrence joue son rôle à plein.

    Dans cette explication, le voilà qui fait un passage par la DDHC (Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen), qui à son Article 13, prévoyait une « contribution » et non pas un impôt. Selon lui, la nuance est de taille, car son contrat n’annonce pas moins que la société libre de régalien privé :

    C’était la « contribution » et elle était caractérisée par une obligation réciproque ou un contrat synallagmatique entre la société représentée par son gouvernement et chacun de ses membres.

    À mon sens, la lecture de notre auteur est éclairante doublement, pour deux types de lecteurs au moins. Il y a tout d’abord sa démarche logique. Elle tranche de bien des ouvrages de la main d’économistes, elle possède la rigueur déductive établie par von Mises comme norme des autrichiens.

    Le lecteur qui en est familier trouvera aussi bien des accents annonçant un Hoppe dans sa critique de la démocratie, ou quand il associe la civilisation non pas aux institutions, mais à une variante de l’état de paix de l’auteur :

    Cette classe, qui constitue l’élément actif de la masse électorale, est avide de fonctions publiques, et c’est dans son sein que se recrute principalement le personnel qui vit du budget.

    J’invite aussi le lecteur à ne pas négliger les notes en appendice. Lire le tsar se faire la voix de la paix, par exemple, frappe à la fois par l’ambition affichée et par la similitude avec le nombre infini de discours depuis lors.

    Enfin, l’auteur conclut par un éclairage sur ce XIXe siècle oublié, pourtant témoin d’une explosion de prospérité par la liberté, qui aura été parasitée d’autant ou presque par l’explosion des dépenses motivées par la guerre.

    Alors, les influences mêmes qui maintiennent artificiellement l’état de guerre depuis qu’il a perdu sa raison d’être, agiront pour y mettre fin…

    Ainsi, Gustave de Molinari a sa digne place au sein de notre collection, je suis très heureux de vous en laisser découvrir la richesse et l’actualité.

    Stéphane Geyres
    Directeur de Collection