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Le Jardin des Supplices – Octave Mirbeau

    Supplices. Voici un terme qui dans notre langue, à notre époque, a beaucoup perdu de son intensité dans les esprits. Pourtant, traduit en anglais, le « Jardin des Supplices » devient “The Garden of Tortures”.

    Associer en un même titre jardin et tortures, beauté et atrocité, luxuriance et terreur, l’annonce est claire d’une ambition littéraire visant à marquer. Selon la Société Octave Mirbeau, se consacrant à sa mémoire, l’auteur du Jardin fut « un écrivain, critique d’art et journaliste français… influent et fort bien rémunéré, critique d’art défenseur des avant-gardes, pamphlétaire redouté… » Il fut, nous dit-elle, « visiblement trop dérangeant pour la classe dirigeante, tant sur le plan littéraire et esthétique que sur le plan politique et social. »

    Il convenait de resituer notre auteur pour bien articuler quelle lecture de ses intentions nous a conduit à publier Le Jardin des Supplices. Ce livre est en effet parfois classé du côté des francs libertaires, par l’ambiguïté de la débauche luxuriante de beautés et de plaisirs qui envahissent son bagne.

    Il ne fait pourtant guère de doute que cette débauche et cette luxuriance sont au service de l’emphase. Elles expriment l’incroyable richesse et la complexité toujours repoussée de la capacité d’horreur des bourreaux, les bourreaux et leur délectation incarnant le Mal absolu propre au Pouvoir.

    Mais, pour le curieux qui ne connaîtrait pas ce texte, rappelons le propos du Jardin. Pour la Société Octave Mirbeau, c’est « d’abord un texte de combat dont les trois parties dénoncent, l’hypocrisie et les travers de la société européenne. » L’auteur le confirme dès sa dédicace, clouée avant le frontispice :  

                  

    « Aux Prêtres, aux Soldats, aux Juges, aux Hommes, qui éduquent, dirigent, gouvernent les Hommes, je dédie ces pages de Meurtre et de Sang. »

    Entre Jardin et Supplices, ce sont bien ces derniers qui importent, et ils ne sont autres que des meurtres, des actes de torture et non pas de justice, les fleurs par milliers et la magie de leurs noms exotiques n’y changeront rien.  

    Le livre se présente en trois parties, allant crescendo vers le terrible. Dans le frontispice, une conversation entre intellectuels se noue sur la thèse que la « loi du meurtre » régirait les relations humaines. On comprend vite que l’auteur vise plus la « civilisation » contemporaine que les Hommes. Et il n’hésite pas à évoquer l’actualité brûlante pour illustrer son propos :

    « L’affaire Dreyfus nous en est un exemple admirable, et jamais, je crois, la passion du meurtre et la joie de la chasse à l’homme ne s’étaient aussi complètement et cyniquement étalées. »  

    Puis, dans « En Mission », un politicien, corrompu comme il se doit, qui est le narrateur, découvre avec nous les manigances du « métier » grâce à un plus habile et corrompu que lui. Celui-ci finit par l’expédier en Chine, éloignant le gêneur. Octave Mirbeau y brosse un tableau cruel mais lucide du pouvoir, que le lecteur gardera à l’esprit pour saisir la dernière partie.

    Vient le fameux Jardin des Supplices. Notre politicien a rencontré Clara, elle symbolise le dernier degré de la confusion, humaine sans doute, Octave Mirbeau nous laisse justement à en décider, entre horreur et beauté, entre supplice et plaisir. La visite du jardin et la découverte du bagne est une ascension continue vers une orgie du délire jouissif porté par le pouvoir. 

    Ces pages sont belles, mais elles dérangent, fortement. On s’interroge sur le sens profond que l’auteur voulait y glisser. Bien des thèses s’opposent. Pour ma part, je retiens les derniers mots de l’esclave, parlant de Clara :

    « Chut ! fit-elle en posant un doigt sur sa bouche. Ne parlez pas si haut… Ne vous remuez pas si fort… Ne la réveillez pas… Au moins, quand elle dort, elle ne fait point de mal, ni aux autres, ni à elle-même !… » « Ah ! si plus jamais, plus jamais, elle ne pouvait se réveiller !… – Clara ! Clara !… Clara !… »

    Le Jardin des Supplices est un livre qui ne laisse pas indifférent. Son auteur recherchait cet effet pour mieux ancrer son message, quitte à ne toucher que des esprits rares. Je le laisse conclure quant aux qualités qu’il estimait :

    « Pour conquérir le succès, il faut au peintre, comme au littérateur, l’amour de la banalité compliquée, il doit avoir les qualités basses, et le vil esprit du vaudeville, la tristesse pleurnicheuse de la romance. » – Mirbeau  

     

    Stéphane Geyres
    Directeur de Collection