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Les Naufragés du Jonathan – Jules & Michel Verne

    Jules Verne est connu et célèbre pour ses romans de grandes aventures fantastiques. On connaît moins son fils Michel, auquel on doit pourtant d’avoir transformé « En Magellanie » (le titre originel) en « Les Naufragés du Jonathan », cette véritable expérience littéraire de science politique.

    En apparence, nous avons affaire à une autre de ces aventures humaines illustrant les merveilles du XIXe siècle dont Jules Verne avait le secret. Le livre a sur ce point peu à envier à ses autres œuvres, mieux connues. Mais cela seul n’aurait pas justifié notre volonté de vous présenter cet ouvrage.

    Certes, c’est ce que les premières pages laissent augurer. Un homme dont on ne sait rien a décidé de vivre au bout du monde, parmi les peuples de ces contrées, et surtout loin de la civilisation. Il est d’une certaine noblesse, elle servira de trame à ce récit et à la thèse politique qui partout transpire.

    Voilà que le Jonathan passe au large du Cap Horn, dans la tempête, pour finir par verser des naufragés par centaines, aussi libres que désemparés. La scène est dressée, notre homme va d’abord venir à leur secours, puis il va les mener à travers un chapelet d’incidents, pour donner vie tant à son rêve de société qu’à une communauté qui serait la seule libre au monde.

    Comme la communauté s’installe, les défis et les difficultés se suivent, et chacun est l’occasion pour nos deux plumes d’éprouver le désir de liberté de cet échantillon de la société des hommes. Ainsi, dans leurs débuts :

                  

    « Ce mot magique, la liberté, les avait enivrés. Ils s’en grisaient, comme de grands enfants, sans chercher à en pénétrer le sens profond, sans se dire que la liberté est une science qu’il est nécessaire d’apprendre et que, pour être libres, ce qu’il faut d’abord, c’est vivre. »

    L’ambition du livre est ainsi posée. Il s’agit bien de « science » politique, et Michel Verne entend entrelacer l’aventure imaginée par Jules d’autant d’occasions de découvrir, via le héros central, sa réflexion pour le monde :

    « Il connaissait cette antienne. L’imperfection humaine, l’inégalité native, ce sont les excuses éternellement invoquées pour justifier la contrainte et l’oppression, alors qu’on crée ainsi au contraire, en prétendant les atténu-er, des maux qui, dans l’état de nature, ne sont aucunement inéluctables. »

    Tour à tour, divers personnages entrent en jeu qui sont autant de porteurs des grandes théories du paysage politique. Chacun est un prétexte à une critique de ses thèses, que l’on voit se heurter aux dures réalités de la vie dans une société où tout est à faire, à penser et à construire. Mais la trame centrale, celle qui observe l’évolution de la pensée du héros, est libérale :

    « Toute loi, prescription ou défense, édictée en vue du soi-disant intérêt de la masse au détriment des individus, est une duperie. Que l’individu se développe au contraire dans la plénitude de sa liberté, et la masse jouira d’un bonheur total fait de tous les bonheurs particuliers. »

    Pourtant, l’aventure ne va pas jusqu’à conclure. Au contraire, elle vous laissera imaginer comment l’avenir pourra voir l’expérience se prolonger. Le héros devient un transmetteur, il passe le flambeau avec son message :

    « Adieu. N’aie qu’un seul objet : la Justice ; qu’une seule haine : l’Esclavage ; qu’un seul amour : la Liberté. »

    Ainsi, Les Naufragés du Jonathan constitue une des rares œuvres à la croisée de l’aventure, de la leçon de géographie et de l’expérience intellectuelle de sociologie. Les problématiques et les situations sociales que les auteurs font traverser à cette petite communauté aident à toucher du doigt, ou à illustrer les questions de fond qui se posent à toute les sociétés humaines.

    Grâce au récit et à la force de ses détails, ces situations et questions posées ne sont pas abstraites ni fantaisistes. De plus, elles font écho aux enjeux et les tensions que notre époque traverse, combien déchirée par l’idéologie. Il reste néanmoins à chacun d’envisager comment il verrait se poursuivre ce récit, en parallèle ou pas avec l’environnement qui est le sien propre.

    Écrit d’une plume alerte et précise, gageons que cet ouvrage captivant, souligné par de nombreuses illustrations inspirées du récit, saura séduire le lecteur averti autant que l’esprit curieux.   
    Excellente lecture à tous !

    Stéphane Geyres
    Directeur de Collection