En 2009, Psychologie des Foules fut choisi tant par Le Monde que par Flammarion comme l’un des « vingt livres qui ont changé le monde ». Même si Gustave Le Bon est parfois encore un auteur contesté, son approche du phénomène politique et social se montre pertinente quand on observe le XXe siècle démocratique qui s’est déroulé depuis ses écrits.
Gustave Le Bon fut un auteur prolifique qui marqua son temps. Grâce au concept de « foule », objet du présent ouvrage, il a abordé l’analyse sociale selon un angle psychologique qu’il a décliné en de nombreux domaines. Certains vont jusqu’à résumer cette thèse au cœur de ses travaux par la citation suivante, tirée en fait de l’Introduction qui suit ce préambule :
« L’âge où nous entrons sera véritablement l’ère des foules. … Aujourd’hui ce sont les traditions politiques, les tendances individuelles des souverains, leurs rivalités qui ne comptent plus, et, au contraire, la voix des foules qui est devenue prépondérante. »
Certes, c’est un auteur plutôt intuitif, ce qui d’ailleurs lui vaut par exemple la critique d’un Émile Durkheim pour « amateurisme », lequel pourtant est lui-même loin de mériter le qualificatif de scientifiquement rigoureux.
Il demeure que Gustave Le Bon mérite selon nous toute sa place au sein de notre collection, ne serait-ce que parce qu’il a su déceler dans ses foules, plus d’un siècle avant lui, ce résultat impitoyable que H-H. Hoppe devait exprimer sur la liberté en démocratie en comparaison de la monarchie :
« Les monarques poursuivaient souvent l’intérêt général tandis que bien des représentants de l’État actuel paraissent peu s’en soucier, et n’hésitent pas à voter des lois dangereuses si elles peuvent assurer leur réélection. »
Une note de vocabulaire est nécessaire concernant Psychologie des Foules. Signe des temps, l’auteur parle souvent de « races » dans un sens différent de notre acception actuelle, bien plus péjoratif. Pour lui, une « race » n’est guère différente d’une « nation », la population historique d’un endroit. Il y accroche un sens d’homogénéité de culture, au lieu du sens biologique.
Nous avons adjoint à Psychologie des Foules un ouvrage plus récent et plus spécifique, Psychologie politique. La première question du lecteur sera sans doute sur le lien entre les deux textes, notamment en matière de méthode, question légitime à laquelle l’auteur lui donne explicitement sa réponse :
«La psychologie politique s’édifie avec des matériaux divers dont les principaux sont la psychologie individuelle, la psychologie des foules et enfin, celle des races.»
Comme Psychologie des Foules, cet ouvrage n’est pas un modèle de rigueur scientifique, mais il est empreint de la même intuition clairvoyante qui lui donne tout son intérêt. Une fois reconnu qu’une « foule » peut violer ce droit que pourtant chacun de ses individus exige, pris isolément, l’action politique devient d’une motivation limpide : être légitime à violer le droit.
Dans l’introduction du texte déjà, Gustave Le Bon nous livre deux phrases qui font écho aux conclusions de théoriciens qui viendront bien après lui :
« Dans la politique actuelle, il ne s’agit pas de rechercher le meilleur, mais uniquement l’accessible. »
Voilà une conséquence parmi d’autres du pouvoir pris aux monarques : la politique du court terme. Celle que le politicien, toujours de passage, et toujours en besoin de prestige pour pouvoir durer, pourra revendiquer.
« Quelques hommes de génie, aidés par les circonstances arrivent parfois à remonter des courants mais leur nombre fut toujours fort petit. »
Ici, l’auteur anticipe des personnalités telles que Margareth Thatcher, dont il nous annonce qu’elle aura eu beau faire, elle aura pu infléchir les vents du socialisme, elle n’aura jamais été qu’une exception. L’annonce mérite l’écoute de tous ceux qui voient l’avenir de la civilisation et de la liberté chez un leader libéral qui prendrait les rênes d’une démocratie des foules. Il pourra ranimer une flamme, mais les foules se lasseront vite de son feu.
Une des questions qui se pose à qui vient de lire ce livre est, selon moi : si nous voilà à l’âge des foules, quelle en est l’issue ? L’auteur a saupoudré des éléments de réponse çà et là, mais sans vraiment conclure. Quoi qu’il en soit, il y a là une motivation suffisante pour un bon moment de lecture.
Stéphane Geyres
Directeur de Collection