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Salammbô – Gustave Flaubert

    Carthage ! Le nom résonne de mille évocations, de mille mystères, il est à la fois symbole de puissance et de passé, de civilisation et de richesse, d’un défi lancé depuis un rocher improbable, comme d’une légende disparue qui pourtant a traversé les âges jusqu’à nos jours.

    Gustave Flaubert rime avec auteur d’exception. Autant contesté, pour des œuvres comme Madame Bovary, qu’admiré à son époque pour la puissance de son style, il reste l’un des plus grands romanciers du XIXe siècle. Son nom demeure de ceux dont tout élève étudie les œuvres principales.

    Justement, Salammbô fut entreprise juste après Madame Bovary, comme en contrepied aux réactions moralistes de contemporains. Gustave Flaubert cherche à plonger dans la Grande Histoire pour démontrer son talent tout en peignant des personnages inspirés de son actualité du Second Empire.Carthage ! Le nom résonne de mille évocations, de mille mystères, il est à la fois symbole de puissance et de passé, de civilisation et de richesse, d’un défi lancé depuis un rocher improbable, comme d’une légende disparue qui pourtant a traversé les âges jusqu’à nos jours.

    Outre sa qualité littéraire, c’est une de nos motivations à retenir Salammbô au sein de notre collection. Si, en surface, ce livre n’a pas grand-chose du pamphlet ni de la dystopie, il est pourtant porteur des valeurs qui nous mobilisent dans notre sélection. Pour mieux l’entrevoir, il n’est pas inutile de se souvenir que Gustave Flaubert n’avait pas l’Empire dans son cœur.

    Pour s’en convaincre, ses Correspondances, nombreuses et riches, sont une source inépuisable. Une citation parmi d’autres résume bien cet auteur:

    « J’ai en haine tout despotisme. Je suis un libéral enragé. C’est pourquoi le socialisme me semble une horreur pédantesque qui sera la mort de tout art et de toute moralité. » (cf. Correspondance, vol. 4)

            

    Ainsi, Salammbô fut écrit par une plume qui ne pouvait que se sentir fort à l’étroit au sein du régime mené par Napoléon III. Il n’y a dès lors aucune surprise à trouver dès Le Festin, premier tableau posant l’intrigue, le mot qui restera en filigrane de l’histoire flamboyante transportant son lecteur :

    À mesure qu’augmentait leur ivresse, ils se rappelaient de plus en plus l’injustice de Carthage… aussi leur indignation éclatait en menaces et en débordements.

    Cette injustice a bien sûr un revers, celui de la puissance, du pouvoir, qui déborde partout dans le livre par la débauche de luxe et la sophistication de l’environnement dans lequel l’auteur nous plonge. Plus il nous décrit les décors, les ambiances, les lenteurs, plus le décalage pénètre le lecteur.

    Car il ne faut pas s’y tromper, Gustave Flaubert n’a pas choisi Carthage sans raison, plutôt que de plonger dans l’histoire de Rome. Elle lui permet de prendre du recul dans ce qui fut un miroir flamboyant de Rome ; elle lui permet de parler d’un empire et de l’injustice, sans parler de l’Empire.

    Cette œuvre prend la forme d’une histoire d’amour glorifiant la grandeur et la grandeur d’âme, mais elle reste d’abord le portrait d’une oligarchie :

    D’abord, le pouvoir dépendait de tous sans qu’aucun fût assez fort pour l’accaparer… On tolérait l’oligarchie, parce qu’on avait l’espoir d’y atteindre.

    La France du milieu du XIXe siècle n’en finit pas d’hésiter entre royauté et république, la Seconde République vient de faire place à un empire qui tombera huit ans plus tard lors d’une guerre qui finit en déroute décisive. L’écart avec les « élites » est net – d’ailleurs dans le livre, où est le peuple ?

    Il revenait pour accomplir ses promesses : espérance qui n’avait rien d’absurde, tant l’abîme était profond entre la Patrie et l’Armée. D’ailleurs, ils ne se croyaient point coupables ; on avait oublié le festin.

    Il convient de conclure avec Salammbô, qui est le symbole de Carthage soi-même, on le devine. Gustave Flaubert ne laisse guère de doute quant à l’avenir qu’il entrevoit, à travers le destin, le choix final de Salammbô :

    Salammbô se leva comme son époux, avec une coupe à la main, afin de boire aussi. Elle retomba, la tête en arrière, par-dessus le dossier du trône, blême, raidie, les lèvres ouvertes, et ses cheveux dénoués pendaient jusqu’à terre.

    Mais qu’on ne s’y trompe pas, Salammbô reste avant tout une œuvre du plus bel art de Gustave Flaubert, qui plonge le lecteur dans un moment de lecture magnifique et de grande qualité. Elle est aux antipodes dans son cadre et son propos des livres plus connus de l’auteur, pourtant son intensité et son style ne manqueront pas de satisfaire les plus exigeants.

    Stéphane Geyres
    Directeur de Collection