Dire que le capital a mauvaise presse est au-delà d’une évidence. Dans l’esprit de beaucoup, l’image héritée de Marx porte ce poids de négativité. Pourtant, aucun projet n’est possible sans capital. C’est bien ce que nous confirme Eugen von Böhm-Bawerk dans ce livre.
L’importance du thème du capital allait donc de soi pour l’Institut Mises France. Avec la Théorie positive du capital, il convenait de faire redécouvrir et de diffuser largement un des textes fondateurs de l’école autrichienne qui fait un tour d’horizon complet de ce que le concept veut vraiment dire.
Cela peut sembler incroyable, mais il aura fallu longtemps et beaucoup de discussions avant qu’une notion aussi profonde chez l’Homme ait pu être définie avec assez de reconnaissance. C’est d’ailleurs un des principaux attraits de ce livre que de porter témoignage des différends intellectuels ayant eu lieu entre les économistes et les idéologues quant à sa définition.
Ainsi, la définition, limpide, que Böhm-Bawerk y propose est la suivante :
Nous nommons en général capital un ensemble de produits servant de moyens d’acquisition des biens.
Elle peut paraître banale. Notez quelques détails, ils vous mettront sur la voie. Capital fait penser à capitaliste et à la propriété privée des moyens de production : or la propriété n’est pas évoquée. La production non plus, d’ailleurs, car le capital peut n’être que financier. Et avec une telle vision, n’importe qui peut détenir du capital et se retrouver capitaliste. On voit combien une phrase banale peut pourtant masquer de vives controverses.
Et cette subtilité, notre économiste la pousse plus loin, puisqu’il propose une variante à cette définition pour le « capital social », c.-à-d. celui qui entraîne l’ensemble de l’économie d’un pays, celle que « calcule » le PIB :
Nous nommons capital social un ensemble de produits servant de moyens pour acquérir des biens ayant une valeur au point de vue de l’économie sociale.
C’est bien la même définition, seuls changent la finalité et les acteurs qui en décident. Böhm-Bawerk le fait exprès : il renvoie les politiciens à leurs mythes. Pour lui, le capital est le capital, charge à eux d’en faire un levier de promesses ou de projets qui sortent du cadre strictement économique.
L’ouvrage n’a pas comme seul intérêt sa définition du capital. Cela ne justifierait ni son nombre de pages, ni surtout notre choix de le republier.
On y trouve aussi le développement de la réflexion de l’auteur en matière de preuve, autre signature de l’école autrichienne. En effet, comment les thèses peuvent et doivent être étayées et « prouvées » en économie faisait, et fait encore hélas, l’objet de vifs débats entre les théoriciens, et ce livre ne manque pas de l’illustrer. Au point que l’auteur consacre une section entière à la question, en laissant déjà entrevoir la notion d’axiome, dont Ludwig von Mises fera, avec l’action humaine, sa contribution majeure :
Or c’est, à mon avis quelque chose qui a tout à fait l’évidence d’un axiome, et c’est en outre, une fois qu’on l’a clairement saisi, un auxiliaire si important pour l’intelligence de tout ce qui suit…
Mais ce qui marquera probablement le plus le lecteur est moins technique. Eugen von Böhm-Bawerk montre sur des dizaines de pages son immense connaissance détaillée des pratiques industrielles de son époque. Cela lui donne cette capacité admirable à soutenir pied à pied toutes les critiques, en allant chercher des exemples et analyses extrêmement précis dans tous les secteurs de l’économie et sous de multiples géographies. L’auteur n’est pas un théoricien rat de laboratoire, il côtoie les entreprises au quotidien.
Enfin, il faut se souvenir que ce livre nous vient de cet ancien monde où la recherche ne disposait que des échanges épistolaires pour avancer. Sans Internet, les débats que le livre nous dévoile ont dû se tenir sur des mois, voire des années, le tout en quatre langues qui plus est. Le cœur, l’énergie dont Böhm-Bawerk fait preuve contribuent à l’intérêt littéraire du texte.
Tous ces points remarquables m’ont apporté un grand plaisir à la lecture de la Théorie positive du capital, j’espère que vous en aurez au moins autant.
Stéphane Geyres
Directeur de Collection